La médecine de famille en région

La médecine de famille en région
Puisqu’il y a moins de spécialistes en région, les omnipraticiens sont amenés à prendre en charge des cas diversifiés et complexes, ce qui rend la pratique très stimulante. – Dr DemersPhoto : Shutterstock

À l’aube de notre 3e année en médecine au campus Saguenay de l’Université de Sherbrooke, Mélodie et moi, co-présidentes du groupe d’intérêt en médecine familiale, avons décidé d’aller à la rencontre de médecins de famille ayant choisi la région comme lieu de pratique. Nous avons tenté d’élucider les mythes entourant la médecine familiale en région et de répondre aux questions les plus fréquemment soulevées par les étudiants. Avec cet article, nous espérons éveiller votre curiosité envers la pratique de la médecine familiale en région et peut-être même vous convaincre à l’expérimenter, qui sait?

Les parcours académiques de Dre Valérie Martel et de Dr Demers

Dre Valérie Martel pratique la médecine familiale depuis 2017. Établie depuis quelques années à Alma, non loin de sa ville natale, elle a quitté le
Saguenay-Lac-Saint-Jean pendant quelques années pour poursuivre ses études universitaires.  Elle a d’abord terminé un baccalauréat en ergothérapie à l’Université McGill ainsi qu’une maîtrise en administration des services de santé à l’Université de Montréal avant de transiter vers la médecine à Laval. Dre Martel a une pratique très variée : elle exerce en bureau, au CLSC et à l’hôpital. En plus de la clinique, elle assume des tâches académiques en tant qu’adjointe pédagogique des résidents du GMF-U d’Alma.

En ce qui concerne le Dr Demers, il est originaire de la Rive-Sud de Montréal. Il a fait ses études prédoctorales au campus délocalisé à Saguenay de l’Université de Sherbrooke, puis il a terminé sa résidence en médecine de famille à Chicoutimi. Depuis, il pratique comme médecin dépanneur dans différentes régions du Québec, telles que la Baie-James et La Baie, et trouve même le temps d’enseigner aux étudiants en médecine du campus Saguenay.

Qu’entendons-nous par « médecine en région »?

Avant de se lancer dans le vif du sujet, il est nécessaire de démystifier certains concepts entourant la pratique de la médecine de famille. Tout d’abord, il faut savoir que le Québec est divisé en 18 régions sociosanitaires (voir carte ci-bas)[1] et que c’est sur celles‑ci que sont basés les Plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). Les PREM sont établis annuellement par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Ceux-ci stipulent combien il peut y avoir de médecins par région[2]. Ainsi, un médecin qui désire pratiquer au Saguenay, par exemple, doit avoir un PREM pour cette région, sans quoi son salaire versé par la RAMQ sera moindre.

 

Mais que signifie avoir un PREM?

Sommairement, il s’agit de faire 55 % de ses journées de facturation dans la région attribuée[3]. Notons que les PREM ne régissent pas le milieu de pratique en soi (CLSC, GMF, hôpital, etc.), mais uniquement la région de la pratique[4]. Si vous souhaitez en apprendre davantage sur le sujet, nous vous suggérons les articles suivants :

Démystifions les PREM en médecine familiale!, Première ligne, juin 2023
PREM, PEM et AMP : Comment s’y retrouver?, Première ligne, février 2016

S’il n’y a pas de définition tranchée de ce qui est considéré comme une région dans le domaine médical, il semble juste de qualifier les zones colorées sur la carte ci-haut comme des régions, à quelques exceptions près. À noter également que la rémunération est majorée pour les médecins pratiquant en région. On peut aussi simplifier les choses en désignant une région comme un endroit où les tests de référence (gold standard) appris en classe ne sont pas accessibles, c’est-à-dire où les ressources sont limitées par rapport aux centres tertiaires.

D’ailleurs, qu’entendons-nous par centres primaires, secondaires et tertiaires?

Brièvement, on peut dire qu’une salle d’urgence dite primaire en est une où il n’y a que des omnipraticiens, qu’il n’y a pas d’hospitalisation possible et où la réception d’ambulances ne se fait que rarement[5]. À l’inverse, une urgence secondaire comporte des omnipraticiens, des MU3/MU5, des spécialistes et une unité de soins intensifs[6]. Contrairement à une urgence primaire où seules les radiographies et les échographies sont généralement accessibles et un centre secondaire est également doté d’un CT-Scan, par exemple[7]. Finalement, un centre tertiaire est un centre surspécialisé, c’est-à-dire qu’il a notamment l’accès aux IRM, à la médecine nucléaire et à la radio-intervention. C’est aussi un établissement qui forme des résidents et qui a une mission de recherche[8].

Puisqu’un des médecins interviewés est dépanneur, nous trouvons important d’expliquer ce en quoi consiste cette pratique méconnue. Le poste de médecin dépanneur a été créé afin « d’aider à supporter le manque de médecins dans quatre grands secteurs d’activités, soit l’obstétrique, l’anesthésie, les soins de courte durée et l’urgence.»[9] C’est le comité paritaire de la FMOQ-MSSS qui décide des lieux hospitaliers admissibles et, contrairement à ce que vous pourriez penser, ce ne sont pas que les régions du Nord-du-Québec qui requièrent des dépanneurs, mais des hôpitaux comme celui de Lachute font partie des endroits possibles où dépanner[10]. Finalement, il existe deux types de médecins dépanneurs: ceux à temps partiel (55 % de leur pratique y est consacrée) et les exclusifs (95 % de leur pratique consiste à dépanner)[11]. Un médecin travaille généralement d’une à deux années comme dépanneur avant de réorienter sa pratique.

Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients de la pratique de la médecine de famille en région?

« Les avantages à pratiquer en région sont nombreux! Tant pour les omnipraticiens ayant une pratique « régulière » que pour ceux étant dépanneurs; la grande variété des cas pris en charge par les médecins de famille est un privilège à considérer. En effet, puisqu’il y a moins de spécialistes en région, les omnipraticiens sont amenés à prendre en charge des cas diversifiés et complexes, ce qui rend la pratique très stimulante. Cela étant dit, cela exige de constamment de sortir de sa zone de confort. La pratique en région nécessite également d’être ingénieux et de se débrouiller avec moins de ressources, car la technologie des grands centres n’est pas toujours accessible. » Autrement dit, en début de pratique en région, le syndrome de l’imposteur peut se faire sentir en raison des nombreuses responsabilités attribuées à l’omnipraticien et du manque de ressources, mais comme le souligne Dr Demers, il importe d’être patient avec soi-même et de ne pas hésiter à s’appuyer sur nos collègues plus expérimentés. D’ailleurs, on ne peut passer sous silence l’esprit de communauté qui règne entre les employés en région. Travailler dans un plus petit milieu, ça signifie également de créer des liens plus étroits et authentiques avec ses collègues!

Plus spécifiquement, pour la pratique de dépanneur, comme le mentionne Dr Demers, la qualité de vie est un avantage notable. De fait, c’est au médecin de choisir les régions dans lesquelles il souhaite dépanner (en sélectionnant parmi la liste établie par la FMOQ-MSSS), de même que lorsqu’il le désire. Ainsi, à titre d’exemple, un médecin peut décider de ne travailler que deux à trois semaines par mois!

Bref, si vous êtes une personne qui aime les défis stimulants et qui souhaite sortir de sa zone de confort, il y a fort à parier que la médecine en région saura vous combler!

Quelles sont les barrières à l’établissement de nouveaux médecins en région?

Le recrutement de médecins de famille est un défi pour plusieurs régions du Québec. Le manque d’effectifs médicaux se fait ressentir autant dans les plus petites communautés que dans les grandes villes. Le ministère de la Santé et des Services Sociaux de même que plusieurs autres instances semblent se préoccuper de cet enjeu qui sévit particulièrement dans les régions éloignées. Pour Dre Martel, une partie du problème s’explique par la réticence des étudiants à se déplacer pour aller à la rencontre des plus petits milieux. La distance et les enjeux d’accessibilité aux stages à option entre milieux universitaires ne sont que deux des principaux obstacles observés. Les centres d’enseignement délocalisés déploient de multiples efforts pour s’illustrer dans le paysage académique, mais la concurrence avec les milieux urbains est féroce.
Par conséquent, Dre Martel et son équipe tentent de mettre en valeur les bénéfices que procure l’environnement rural, tel que l’accès au plein-air, la collégialité, le sentiment d’appartenance et d’autres avantages.

Est-ce que les occasions d’enseignement sont plus limitées en région?

Dre Martel souligne que c’est tout le contraire, tel qu’en témoigne la présence d’un Groupe de médecine familiale universitaire à Alma, lequel permet d’accueillir des résidents et des externes à chaque année, que ce soit que pour un stage ou pour toute la durée du parcours. En effet, il est possible pour les externes de l’Université de Sherbrooke d’adhérer au programme d’Externat longitudinal intégré à Alma afin de réaliser un peu plus de 60 % de leur externat en région. Finalement, Dre Martel en profite pour faire valoir la qualité de l’enseignement reçu, les régions se démarquant par leur dynamisme et leur petit nombre d’apprenants par rapport aux capacités du milieu, ce qui favorise les contacts directs avec les patrons.

Pour conclure, quel message aimeriez-vous transmettre aux étudiants?

Dre Martel souhaite inviter les étudiants à se rendre en région pour découvrir l’environnement, s’imprégner de la communauté et visiter les établissements de santé. Les portes ouvertes des GMFU sont d’ailleurs une excellente occasion d’en apprendre davantage sur le milieu. Finalement, Dre Martel souligne l’importance de sortir de sa zone de confort et d’ouvrir son esprit à la pratique en région éloignée puisque celle-ci offre plusieurs avantages.

Quant au Dr Demers, il tenait à profiter de cette tribune pour vous rappeler de prendre le temps d’être fier de vos réussites. Nous étudions dans un domaine où nous sommes incessamment confrontés à de nouveaux stresseurs, de sorte que l’on peut oublier tout le chemin parcouru et tous les efforts que nous avons déployés. Ainsi, de temps à autre, (par exemple en conduisant vers les portes ouvertes du GMF-U d’Alma!), nous méritons de nous féliciter pour tout le travail accompli!

Si vous vous questionnez sur la pratique en région, rien de mieux qu’un stage [pour l’expérimenter]. On sera heureux de vous accueillir pour vous montrer tous les avantages de la pratique en région en plus des gains secondaires (prime région, prime d’installation, qualité de vie, coût de la vie, plein-air, etc.)

Dre Valérie Martel

 
 

À PROPOS DES AUTRICES

Mélodie Baulne
Étudiante en 3e année de médecine et
coprésidente du GIMF de l’Université de Sherbrooke – Campus Saguenay

Marjorie Tremblay
Étudiante en 3e année de médecine et
coprésidente du GIMF de l’Université de Sherbrooke – Campus Saguenay


[1] MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX. Carte de la rémunération différente des médecins omnipraticiens – Région éloignée ou isolée dans Gouvernement du Québec (Page consultée le 25 juillet 2023).

[2] MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX. Plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM) en médecine de famille, dans Gouvernement du Québec. (Page consultée le 25 juillet 2023).

[3] PIERRE BELZILE. 2 février 2019. Le PREM, le PEM, l’avis de conformité et l’avis de nomination… démêlés!, dans Le médecin du Québec. (Page consultée le 25 juillet
2023).

[4] Ibid.

[5] MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX. Catégorisation des urgences, dans
Gouvernement du Québec. (Page consultée le 25 juillet 2023).

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX. Mécanisme de dépannage ou mécanisme de remplacement ou de support, dans Gouvernement du Québec. (Page consultée le 25 juillet 2023).

[10] Ibid.

[11] Ibid.

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