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Les médecins de famille et la santé mentale

Les médecins de famille et la santé mentale

Alors que l’Institut universitaire de santé mentale de Montréal a récemment rappelé à la population québécoise que la maladie mentale se trouve au 2e rang des maladies morbides prises en charge par notre société1, et avec la restructuration du système de santé voulue par notre ministère de la santé actuel, il convient de se pencher un peu sur la prise en charge de ce nombre toujours grandissant de patients atteints de troubles de santé mentale. Deux médecins de famille nous éclairent sur ce volet de leur pratique.

On sait que les médecins de famille traitent de problèmes du corps humain concernant toutes sortes de systèmes, passant de l’appareil locomoteur au foie, au coeur,  aux poumons et à la tête. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit de problèmes de santé mentale? Comme c’est le cas avec les autres problèmes organiques, les troubles de santé mentale sont d’abord dépistés en premiere ligne, par des médecins de famille. Par contre, il est juste de se demander si, dans une société où les médecins de famille ont peine à répondre aux demandes de la population et avec une pratique actuelle qui se veut de plus en plus axée sur l’efficacité et la rapidité, les troubles de santé mentale doivent vraiment être considérés au même titre que les autres troubles. Non seulement de tels troubles, de par leur complexité et leur ambiguïté, demandent souvent beaucoup plus de temps que les autres maladies, mais certains de ces troubles doivent être traités bien souvent directement par le médecin de famille, qui ne se voit bien souvent pas en mesure de renvoyer un patient anxieux ou déprimé chez lui après quinze minutes de consultation, sachant qu’une possible rencontre avec un psychologue peut prendre jusqu’a des mois.

Mais dans quelle proportion les troubles de santé mentale occupent-ils la pratique de nos médecins de famille? Guylaine Lajeunesse-Viens, médecin de famille travaillant au GMF-U de l’hôpital du Sacré-Coeur et à l’urgence psychiatrique du Pavillon Albert-Prévost du même hôpital, estime que la proportion des diagnostics de troubles de santé mentale dans sa pratique de premiere ligne (en bureau) est d’environ 20 à 30 %. C’est aussi ce que rapporte Johanne Francis, médecin de famille depuis 29 ans pratiquant maintenant à temps plein à la Polyclinique de St-Eustache. Selon ces deux omnipraticiennes, 1/5 de la pratique des médecins de famille serait donc dédié à la santé mentale. Celle-ci prend-t-elle réellement plus de temps que celle des autres troubles? «Il est certain que les problemes de santé mentale exigent une évaluation complète, comme n’importe quel autre problème de santé, explique Dre Lajeunesse-Viens. Or, l’évaluation d’un problème de santé mentale implique d’évaluer également le contexte social, de travail du patient, ainsi que le risque suicidaire. Donc cela peut prendre plus de temps parfois. Il faut aussi considérer que les problèmes de santé mentale exigent des suivis rapprochés pour le suivi des symptômes ou de la médication. Finalement, il faut aussi considérer que les interventions de ‘thérapie’ de soutien (et non de psychothérapie) prennent du temps ». Dre Francis, pour sa part, affirme que les consultations impliquant des problèmes de santé mentale prennent trois fois plus de temps que pour les autres problèmes.

Le médecin de famille agit-il souvent à titre de thérapeute?
Si la consultation en psychologie fait partie du suivi conjoint dans la plupart des cas, les médecins de famille semblent traiter bien souvent ‘seuls’ une grande proportion des troubles de santé mentale. Comme le souligne aussi Dre Francis, plusieurs patients n’ont pas les moyens de payer un psychologue et ce sont donc les médecins de famille qui « doivent faire la psychothérapie en attendant que le CLSC puisse les prendre en charge, une attente allant de quelques semaines à quelques mois ». Dre Francis affirme également que 95 % des cas sont bel et bien traités par les médecins de famille. Dans le même sens, Dre Lajeunesse-Viens a répondu : « Dans la majorité des cas, je règle seule (comme seul médecin je veux dire) les problèmes de santé mentale et je pense que les médecins de famille ont les compétences pour traiter ce genre de problème. Il arrive dans les cas plus complexes qui répondent peu à la médication ou quand le diagnostic n’est pas clair que l’on demande l’aide d’un psychiatre ».

Une augmentation des troubles de santé mentale dans les dernières années?
Il semblerait que les troubles de santé mentale sont plus présents que jamais dans notre société actuelle, particulièrement les troubles dépressifs et d’anxiété. L’Institut universitaire de santé mentale de Montréal rapporte que la dépression deviendra la 2e cause d’incapacité à l’échelle mondiale d’ici 20202. Le taux d’anxiété a également augmenté chez les jeunes dans les dernières années, augmentant de 45% le taux de visite au service des urgences en raison de troubles mentaux chez les enfants et les jeunes entre 2007 et 20143. L’opinion de Dre Francis va dans ce sens : « Il y a nettement une augmentation des consultations pour anxiété et dépression depuis le début de ma pratique en 1987. Il y a évidemment le stress de la société actuelle qui, à mon avis, est pire qu’au début de ma pratique; il y a aussi l’ouverture d’esprit des gens pour consulter, car ils peuvent obtenir de l’aide avant de passer à l’acte  et on voit ça chez les hommes qui consultent plus qu’avant ».  Quant à Dre Lajeunesse-Viens, elle répond : « Je ne pratique que depuis quatre ans, mais je pense par contre que les problèmes d’anxiété et de surmenage sont de plus en plus présents dans notre société où l’on court toujours! (eh oui! c’est cliché, mais c’est vrai !). Ces problèmes se trouvent dans tous les groupes d’âge, mais je vois et traite beaucoup de problèmes d’anxiété et de dépression chez les jeunes, car je suis responsable de la clinique des jeunes à notre GMF-U et au moins la moitié des consultations sont pour des problèmes de santé mentale ».

Des médecins bien outillés
Alors que les médecins de famille sont de plus en plus poussés à faire des consultations qui durent moins longtemps afin de rentabiliser le nombre de patients vus, on peut se poser la question si les troubles de santé mentale posent ici problème. Comme mentionné plus haut, de par leurs composantes souvent plus complexes, les troubles de santé mentale prennent plus de temps que les autres troubles dans bien des cas. Et il faut avouer que les troubles de santé mentale, toujours pour les mêmes raisons, peuvent être plus épuisants que les autres troubles pour les médecins. C’est certain que le temps que je dois prendre pour un patient en dépression ou en anxiété « pénalise » en quelque sorte les autres maladies physiques qui se règlent en général plus rapidement», affirme Dre Francis. Elle rajoute que les médecins de famille travaillent très fort pour aider les patients souffrants de problemes de santé mentale, ce qui est aussi appuyé par Dre Lajeunesse-Viens, qui pense que c’est non seulement du ressort des médecins de famille de s’occuper de tels problemes, mais qu’ils sont aussi tout à fait aptes à le faire : « Je pense que les médecins de famille doivent se préoccuper ou prendre en charge les problèmes de santé mentale. Ça fait partie de notre travail au même titre que les lombalgies ou les otites! Je concède par contre que sont ce sont parfois des cas lourds, qui demandent beaucoup d’énergie et qui peuvent être drainants. Mais, nous ne sommes pas seuls ! Il y a toujours d’autres professionnels pour nous aider et même des collègues médecins de famille pour nous épauler. Je considère que les médecins de famille ont tous les outils nécessaires pour poser les diagnostics en santé mentale. Ils occupent différentes places dans les soins de santé mentale (à l’urgence, en bureau, en clinique spécialisée) et je pense que c’est apprécié ».

Et effectivement, le travail des médecins de famille est apprécié en matière de santé mentale, dont les troubles sont en augmentation dans la population, rappelons-le. Entre études, travail et vie personnelle, nombreuses sont les personnes qui nécessiteront un jour ou l’autre des médicaments pour les aider à dormir ou à passer à travers des épreuves plus difficiles, et rares sont celles qui n’apprécient le temps que passe leur médecin de famille à décortiquer ces problèmes de santé moins traditionnels.

Katherine Mauriello, équipe 2015-2016
Katerine Mauriello

Étudiante en première année, Université de Montréal

 

1- Centre intégré universitaire de santé et services sociaux de l’Est-de-l’île-de-Montréal, Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Section Institut, En chiffres, 2016.

2-Idem.

3-Le Devoir, De plus en plus de jeunes se présentent à l’hôpital pour des troubles mentaux, Mai 2015.

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