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L’utilisation des psychostimulants chez les étudiants

L’utilisation des psychostimulants chez les étudiants

Le nombre de diagnostics de déficits de l’attention a fait un bon au Québec ces dernières années, et a donc forcément entrainé une augmentation des prescriptions de psychostimulants comme le Ritalin ou le Concerta, des médicaments qui sont de plus en plus prisés par les étudiants pour accroître leurs capacités intellectuelles. À la lumière des statistiques démontrant la popularité des psychostimulants auprès des étudiants, plusieurs experts se sont penchés sur les effets secondaires néfastes d’une telle utilisation chez des individus qui n’en ont pas réellement besoin. Mais une question demeure : comment ces étudiants réussissent-ils à se procurer ces substances?

Concernant jusqu’à 35 % des étudiants américains, l’utilisation de psychostimulants chez les étudiants, universitaires principalement, semble avoir augmenté au Québec1. La revue Drogues, santé et société a exploré le phénomène chez des jeunes adultes québécois âgés entre 20 et 25 ans.2 « Nos résultats montrent qu’étudiants et travailleurs ont recours aux stimulants pour augmenter leur concentration et leur capacité à rester alertes dans le but d’améliorer la qualité de leur travail et leur productivité », rapporte les auteurs de la recherche. Ces étudiants et travailleurs utilisent des psychostimulants en l’absence de déficits d’attention, et plusieurs étudiants disent le faire par nécessité de rester dans « la compétition », ne voulant pas être désavantagés par rapport aux étudiants qui en prennent et qui ont ainsi plus de facilité à retenir la matière. Plusieurs programmes semblent touchés par ce phénomène, mais ce serait les facultés de médecine qui seraient le plus impliquées par la montée de la consommation de stimulants. Au moins 30% des étudiants en médecine se « doperaient » aux stimulants, des étudiants dans leurs premières années de médecine comme les étudiants à la fin de leur résidence3.

Bien que certains médicaments comme le Guronsan (glucuronamide/acide ascorbique/caféine; agit comme antiasthénique pour traiter la fatigue aigue) sont vendus sans ordonnance, d’autres médicaments comme le Ritalin ou le Concerta nécessitent une prescription médicale. Comment, alors, certains étudiants réussissent-ils à s’en procurer, si la grande majorité de ceux qui en consomment ne présentent pas de déficit de l’attention? Certains étudiants affirment utiliser les médicaments de leurs petits frères ou petites sœurs, et plusieurs affirment s’en procurer auprès de leurs amis, sans savoir la provenance des substances. Mais pour les autres, et pour nombreux de ceux qui fournissent les médicaments à leurs pairs, une prescription médicale a été nécessaire. Comment ont-ils pu l’obtenir? Justin (nom modifié), un étudiant en 3e année au BAC de HEC Montréal, explique comment il a été facile de s’en procurer dans une petite clinique privée sur la Rive-Nord de Montréal : «  J’ai vraiment insisté auprès du médecin pour qu’il me prescrive du Concerta. Au début, il ne voulait pas, puisque je ne démontrais aucun signe de TDAH. Mais je lui ai expliqué que si ce n’était pas lui qui m’en procurerait, je réussirais tout de même à en obtenir au HEC via des étudiants qui en vendent illégalement. Et j’ai ajouté que ce serait plus safe si je prenais des pilules prescrites par lui, plutôt que de prendre celles vendues au HEC, ne sachant pas ce qui se trouve dans ces pilules… ».  Le point apporté par l’étudiant du HEC, soit qu’il serait plus sécuritaire de consommer des médicaments prescrits que ceux en circulation illégale au HEC, a réussi à convaincre le médecin de lui en prescrire. « C’est vraiment utile, explique Justin. Si je n’ai pas eu assez de temps pour étudier, j’en prends une la veille de l’examen; j’étudie toute la nuit et je retiens toute la matière, tellement ma concentration est élevée ». Ainsi, cet étudiant du HEC consomme du Concerta de façon tout à fait légale, prescrit par un médecin de famille. Cette situation est-elle acceptable?

Santé mentale, février 2016La plupart des médecins de famille sont très conscients de la popularité des psychostimulants auprès des étudiants, et savent qu’un étudiant déterminé réussira à s’en procurer d’une façon ou d’une autre.  Ainsi, en étant conscients du phénomène, certains médecins préfèrent protéger les étudiants d’une consommation illégale et plus dangereuse de psychostimulants leur prescrivant eux-mêmes les substances désirées. Et il faut se poser la question : certains médecins n’ont-ils pas déjà eux-mêmes consommé ce genre de substances? Comme mentionné plus haut, ce serait les facultés de médecine qui seraient, de façon assez  paradoxale, le plus touchées par le phénomène de consommation de psychostimulants. Et ce serait une pratique non seulement connue des patrons en résidence, mais peut-être même encouragée, si on se fie à certains témoignages d’anciens résidents.

La revue « Santé inc », prônant la qualité de vie des médecins du Québec, rapporte, dans un numéro de mai 2014, un témoignage extrêmement troublant d’un ancien résident d’une faculté de médecine francophone au Québec.4 « C’est le directeur de mon programme de résidence qui m’a très fortement suggéré de prendre du Ritalin. Et l’expérience fut très désagréable. Pas loin d’être catastrophique, en fait », raconte le médecin qui était R4 à cette époque. Il affirme que son directeur de résidence était très soucieux que leur département conserve leur réputation actuelle et qu’il était primordial de ne pas seulement « passer » l’examen du Collège Royal, mais de le réussir avec succès. Sachant que le résident en question ne pourrait obtenir vraiment plus que 75 % à l’examen, le directeur lui avait demandé soit de repousser l’examen d’un an, soit de prendre du Ritalin. Refusant de gaspiller une année, le résident s’est vu obligé, après s’être fait interdire par son directeur de réintégrer l’hôpital à moins d’être médicamenté, de se faire prescrire du Ritalin, ce qu’il a réussi à faire. Il faut souligner que plusieurs médecins ont refusé de lui en prescrire étant donné l’absence de déficit d’attention, mais une clinique a bien voulu lui accorder ce qu’il désirait « vu les circonstances ». C’est alors que l’ancien résident raconte à quel point son état s’est dégradé, à quel point il est devenu anxieux jusqu’à devenir suicidaire, et qu’il a finalement décidé d’arrêter la consommation de Ritalin et de changer de milieu de stage.

Cette histoire est assez troublante, et démontre à la fois la facilité que peuvent avoir certains étudiants à se procurer des substances normalement réservées aux troubles de l’attention, mais également la pression que subissent certains étudiants, ici en médecine, qui les mène à en consommer, une consommation encouragée par des médecins eux-mêmes! Comme quoi même les médecins tombent dans le piège de la compétition…

Il serait peut-être temps que la communauté médicale se penche sur la question de la consommation de psychostimulants auprès des étudiants, pour non seulement éviter une prescription inutile chez des étudiants qui menacent de s’en procurer ailleurs, mais aussi pour enrayer cette tendance des facultés de médecine à « prôner » une élévation des capacités intellectuelles de manière totalement néfaste pour la santé.

Katerine Mauriello

 

  1. Le Devoir, 29 avril 2014, Se droguer pour réussir à l’université
  2. Drogues, santé et société, Volume 10, numéro 2, décembre 2011, p.143-183, Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance : usages et discours de jeunes adultes québécois
  3. Le Figaro Étudiant, 8 septembre 2015, 30% des étudiants en médecine se dopent aux stimulants
  4. Santé Inc, 12 mai 2014, Du Ritalin imposé…par la faculté!

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