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LE PLUS BEAU BUREAU DU MONDE

LE PLUS BEAU BUREAU DU MONDE

Cela fait maintenant quelques années qu’il a été convenu que je deviendrais propriétaire d’un héritage familial important dès la fin de mes études : le bureau en chêne massif qui appartenait jadis à mon arrière-grand-père. Transcendant les générations depuis près d’un siècle, cette impressionnante pièce d’antiquité dort gentiment depuis plus de 25 ans dans le haut de la grange juxtaposée à la maison où j’ai grandi. Mais son répit s’achève.

Dans un avenir pas si lointain, ce bureau sera mien. Je serai d’un côté. Mes patients, de l’autre.

Ce sera l’une des pièces maîtresses de mon futur bureau de médecin de famille. Il y aura aussi de grandes fenêtres, des photos de voyage grand format, des plantes d’intérieur — possiblement bien entretenues —, une fontaine d’eau aromatisée, un réfrigérateur bien rempli, une chaise et un pouf — de mon côté du bureau, bien évidemment. Et dans le coin, parce qu’il le faut bien, une table d’examen, un otoscope et un abaisse-langue. Bien cachés derrière le rideau. Bref, un endroit agréable où il fait bon travailler.

Il s’agit ici d’une caricature de ma future carrière de médecin de famille responsable de la santé de plus d’un millier de patients. Ma caricature ne s’éloigne pourtant pas tellement de la réalité ; la médecine de famille est une spécialité qui conjugue vies professionnelle et personnelle, et ce dans un appariement qui frôle parfois la perfection.

Il y a moins d’un an, je discutais avec une nouvelle résidente en médecine de famille qui me disait alors qu’elle ne savait plus comment se retrouver dans toutes les nouvelles contraintes que le Ministère envisageait d’imposer aux prochains médecins de famille. Je me rappelle m’être dit, à cet instant-là, même si mon optimisme légendaire souhaitait me faire penser le contraire, que je n’avais aucun intérêt à aller en médecine de famille si c’était pour faire du bureau cinq jours par semaine. J’aurais dû m’enregistrer.

Un an plus tard, je me retrouve avec six mois de résidence en poche à répéter sans me gêner que le bureau de première ligne est une pratique que je préfère largement au travail en milieu hospitalier. Eh bien oui, mon « coming-out », comme on dit ! On entend souvent dire que la pratique y est ennuyante, peu gratifiante et exempte de tout défi. Je m’étouffe rien qu’en y pensant.

Je serais très hypocrite de dire que ça ne me plait pas de voir des cas simples lors d’un beau vendredi après-midi ensoleillé du mois de juillet.

D’abord, mettons les choses au clair : les médecins de famille ne sont pas les seuls à faire du bureau. En chirurgie, il y a des suivis postopératoires; en médecine interne, des suivis de diabète; en gynécologie-obstétrique, des suivis de grossesse. Des actes médicaux qui se déroulent, ma foi, en bureau… tout comme ceux des médecins de famille! Pire encore : ces autres spécialistes doivent se contenter d’une clinique externe souvent intrahospitalière et du design vieux genre des années 80 qui vient avec!

« Mais, en médecine de famille, les problèmes ne sont pas aigus et c’est ennuyant. » Ceux qui prétendent détenir la vérité avec ce dernier énoncé devraient se renseigner sur l’accès adapté. Que l’on soit content ou non de la réforme actuelle du système de santé, il faut avouer que ce nouveau moyen de gestion de l’agenda, apparu dans nos champs de pratique il y a quelques années, a fait ses preuves et contribue certes à faire augmenter l’accessibilité à un médecin de famille, mais aussi à rendre la pratique de première ligne plus intéressante. Finis les suivis annuels où l’on passe notre heure de rendez-vous à discuter du beau temps et à se scruter la conjonctive en regardant les secondes s’écouler! Aujourd’hui, les patients se présentent souvent avec des problèmes aigus qui nécessitent un avis médical et une prise en charge immédiate. Un peu comme une mini-urgence. Avec le sentiment de faire une différence en première ligne auprès de notre clientèle. Moi, ça me plait.

Et encore. Je serais très hypocrite de dire que ça ne me plait pas de voir des cas simples lors d’un beau vendredi après-midi ensoleillé du mois de juillet. Je me rappelle, c’était dans mon premier mois de résidence, j’avais enchainé trois prises en charge d’adolescents en bonne santé. Pas besoin d’être résident en médecine de famille pour comprendre que ces prises en charge, bien qu’importantes, ne sont pas des plus complexes et se concluent relativement rapidement. Et ça m’a plu : à 16 h, je fermais boutique et je partais pour mon weekend de plein air, largement en avance sur l’horaire prévu. Sans dire que je planifierai dorénavant tous mes patients en bonne santé les vendredis de juillet, je dois admettre que, de temps à autre, ça fait du bien!

Parce que c’est là toute la clé du bonheur en bureau de première ligne : pouvoir arranger votre horaire comme bon vous semble. Imaginez : vous avez envie de débuter à 9h30 le mercredi matin parce que vous souhaitez vous entrainer sans vous lever aux aurores? C’est possible! Vous souhaitez terminer un peu plus tôt le jeudi parce que vous avez un vol à prendre le même soir? Pourquoi pas! Vous n’avez qu’à laisser un message à votre secrétaire et elle se charge de tout.

Et, finalement, que dire du dossier médical électronique, maintenant de plus en plus répandu dans les cliniques du Québec… On ne griffonne plus les prescriptions; on les imprime. On ne recherche plus l’information perdue dans les méandres infinis des 10 tomes du dossier de tel patient ; on fait « Ctrl + r ». À part le fait de devoir se battre régulièrement avec l’imprimante, il n’y a pas vraiment d’inconvénient au dossier électronique. Finies les recherches interminables du dossier égaré quelque part parmi les 20 étagères des archives de la clinique! On tape nom et prénom et hop! le dossier s’ouvre devant soi. De l’efficacité comme on en a besoin.

Parce que, des patients à soigner, il y en a à la tonne. J’ai mentionné un peu plus tôt que je serai médecin responsable d’un millier de patients. Si vous me le permettez, à ce point, j’aimerais rectifier mes dires. Comme tous mes autres collègues médecins, je serai responsable de 8 millions de patients, voire même 8 milliards. Parce que, le professionnalisme médical, tant pour les médecins de famille que pour les autres spécialistes, c’est plus que de simplement soigner les patients qui nous sont attribués : c’est une responsabilité à l’égard de la santé de tous.

C’est donc à partir de mon bureau, mon très beau bureau auquel je rêvasse souvent, que je pourrai améliorer, de façon très modeste, minime, infime, mais quand même réelle, la santé de la population du monde dans lequel nous vivons.

Et je m’en réjouis.


Dr Mathieu Hains
Résident de première année en médecine familiale
Unité de médecine familiale du Nord de Lanaudière affiliée à l’Université Laval

 

Cet article utilise l’orthographe moderne recommandée.

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