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La médecine à Blanc-Sablon

La médecine à Blanc-Sablon

Photo vedette : Blanc Sablon : Lever de soleil sur Harrington Harbour (village de la Grande Séduction)

Il y a quelques années, le GIMF-Mauricie organisait une conférence sur la pratique en région éloignée, animée par Dre Suzanne Ducharme, médecin de famille à Blanc-Sablon. C’est avec le sourire et des étoiles plein les yeux qu’elle nous avait dévoilé les splendeurs de sa profession. Visiblement tombée sous le charme de la Basse-Côte-Nord, Dre Ducharme avait alors su nous transmettre sa passion. Quelques années plus tard, Première Ligne décide de retracer cette omnipraticienne fort sympathique et c’est sans surprise qu’elle accepte de répondre à nos questions.

Suzanne Ducharme termine ses études médicales à l’Université de Montréal en 1978. Ensuite, elle fait une année d’internat rotatoire à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (tel que prescrit par le programme médical de l’époque) et obtient finalement son permis de pratique en 1979. Attirés par la région de la Mauricie, Dre Ducharme et son conjoint (également médecin de famille) s’y installent la même année avec trois autres jeunes médecins finissants, désireux d’ouvrir une clinique médicale et de travailler en milieu hospitalier.

L'urgence

L’urgence

C’est avec un agenda bien chargé que la jeune médecin commence sa pratique en région, jonglant entre l’urgence, l’hospitalisation, le bureau et les visites à domicile. Avec le temps, la famille s’agrandit (le couple a maintenant 3 enfants!) et le contexte de l’époque (les médecins ne peuvent avoir des privilèges en centre hospitalier que dans certains départements), Dre Ducharme choisit de modifier sa carrière et de conserver une pratique de bureau avec prise en charge et visites à domicile et en résidences pour personnes âgées jusqu’en décembre 2010, où elle met finalement le cap sur la Basse-Côte-Nord.

À ce moment-là, qu’est-ce qui vous a poussé à mettre les voiles et à vous établir dans cette petite municipalité, à l’autre bout du Québec?
À ce moment donc, les « enfants » sont grands, le conjoint travaille à l’extérieur depuis une dizaine d’années (Baie James et Blanc-Sablon), la clientèle s’alourdit (plus de 2000 patients) et la relève est… inexistante. Lors d’un court séjour sur la Basse-Côte-Nord, en « touriste », j’ai été vraiment conquise par l’endroit et la gentillesse des gens. Alors, je plie bagage et rejoins mon mari à Blanc-Sablon à la fin de décembre 2010.

En quoi consiste le travail de médecin dans un village comme celui-là?
La pratique y est fort différente. Bien sûr, il y a le suivi en bureau, l’hospitalisation, l’urgence (que je ne fais pas), les gardes, les visites à domicile et la partie CHSLD dont je suis en charge, mais il faut ajouter les visites en dispensaires et les réponses aux appels du personnel sur la côte pour soigner « à distance » des gens qu’on ne voit pas. En effet, la Basse-Côte-Nord s’étend de la rivière Natashquan à la frontière du Labrador et comprend 15 petits villages dont plusieurs ne sont pas accessibles par la route. La population est constituée de pêcheurs, de gens qui travaillent dans les services (école, hôpital, poste, voirie, etc.) et est en grande partie anglophone. Les villages de Lourdes-de-Blanc-Sablon, Tête-à-la-Baleine et les 2 communautés autochtones de Pakua Shipi et La Romaine (Unamen Shipu) sont francophones.

Les patients dans les villages doivent, à l’occasion, être évacués en motoneige, en bateau, en hélicoptère, en 4 roues ou en aéroglisseur avant de finalement prendre l’avion vers Blanc-Sablon ou directement vers les « grands centres ». Sang-froid requis!

Pourriez-vous me décrire en quoi consiste une journée type sur la Côte?
Il n’y a pas de journée « type » sur la Basse-Côte. Le chef de département établit l’horaire mois par mois et on peut faire du bureau, de l’hospitalisation, on peut être à l’urgence, on peut répondre aux appels des infirmier(e)s en dispensaires (quand il n’y a pas de médecin sur place). On peut être assigné à la vérification des résultats d’examens pour le département (quand le médecin traitant est absent, en congé ou en dispensaire).

Les visites en dispensaires se font à raison d’environ une fois par mois pour une durée de quelques jours à une semaine selon la taille du village. Le médecin part en avion le lundi matin et revient le vendredi en après-midi… si la météo le permet! Le seul dispensaire rejoignable par la route est celui de St-Paul, à environ 45 minutes de voiture de Blanc-Sablon, et les visites s’y font un à deux jours par semaine. En général, les villages sont attribués à un ou deux médecins pour assurer la continuité des soins, mais on « dépanne » parfois dans les autres villages pour remplacer les vacances ou les absences prolongées.

Et le mode de vie, les conditions de travail, dans tout ça?
Les médecins sont logés dans des appartements ou des maisons appartenant à l’hôpital et le loyer est très raisonnable. Le cellulaire n’est pas capté dans tout le village et actuellement, il y a une pénurie de lignes pour l’accès internet… Il ne faut pas oublier que la Basse-Côte-Nord a été électrifiée dans les années 60 seulement!

Le médecin à temps plein doit travailler un minimum de 34 semaines par année alors qu’un mi-temps travaille au moins 17 semaines. L’équipe médicale, quand elle est complète, compte 10 médecins équivalents temps-plein. Il y a des primes d’éloignement et des primes de rétention accordées par la RAMQ et la Régie régionale. Les déménagements (à l’aller et au retour) sont défrayés par la RAMQ. Il y a des sorties personnelles et des sorties-congrès payées par la RAMQ.

Le coût de la vie est élevé, car les denrées périssables peinent à se rendre, surtout en hiver, et les prix des billets d’avion sont exorbitants (plus de 3000$ pour un vol Montréal-Blanc-Sablon!).

La vie « sociale » et « culturelle » est limitée; les soupers entre amis sont très prisés. Il n’y a qu’un seul resto (Pizza Delight), l’épicerie, le dépanneur et le magasin général. L’aréna est un lieu de rencontre populaire, autant pour le hockey que pour les « soirées ». Pour apprécier la vie là-bas, il faut aimer la nature, le plein air et la mer. Amateurs de poisson et fruits de mer, vous êtes servis, délices assurés!

La vie y est fort agréable et les gens très chaleureux et accueillants. La Basse-Côte-Nord exerce sur qui la fréquente un envoûtement certain, il est aussi dur d’en partir que d’y habiter!

Évacuation médicale

Évacuation médicale

Quelles sont selon vous les particularités d’un milieu aussi éloigné?
La clientèle est de tout âge et la pratique très enrichissante. Les gens ont une philosophie de la vie bien différente. On voit ainsi des patients en insuffisance rénale chronique qui ne sont pas de bons candidats à la dialyse péritonéale et qui refusent tout simplement l’hémodialyse pour ne pas déménager et quitter leur région natale. La même chose se retrouve pour certains cas d’insuffisance cardiaque et certains cancers. Les gens sont très attachés à leur coin de pays.

Ainsi, les médecins doivent être « autonomes » tout en sachant bien quand référer. Tout patient qu’on transfère doit partir en avion vers Sept-Îles, ou Québec pour les cas plus « compliqués » (cardio, grossesses avant 34 semaines, etc.), parfois même vers Terre-Neuve pour les patients du Labrador qui consultent chez nous. Il n’y a pas de spécialiste sur place, pas de radiologiste, pas d’écho ni de scan. La météo, souvent brumeuse et imprévisible (blizzard et vents jusqu’à 120 km/h), peut parfois retarder les transferts pendant quelques jours. Les patients dans les villages doivent, à l’occasion, être évacués en motoneige, en bateau, en hélicoptère, en 4 roues ou en aéroglisseur avant de finalement prendre l’avion vers Blanc-Sablon ou directement vers les « grands centres ». Sang-froid requis!

Y a-t-il des cas particulièrement difficiles qui vous ont marqué?
Il ne se fait plus d’accouchement à Blanc-Sablon depuis plusieurs années. Les patientes partent à 37 semaines pour accoucher à Sept-Îles ou dans la ville de leur choix (où elles ont parfois de la famille). En 2011, une patiente primipare s’est présentée en travail, à 36 ½ semaines et a accouché à l’urgence avant l’arrivée de l’ambulance devant la reconduire à l’aéroport pour son transfert. Heureusement, tout a bien été et la belle petite fille était le 1er poupon né à Blanc-Sablon depuis 12 ans!

Certains cas sont évidemment plus tristes, accidents de la route avec morts, polytraumatisés et réactions bien évidentes du personnel où tout le monde connaît tout le monde. À l’été 2011, il y a eu un accident impliquant 3 jeunes du Labrador avec le conducteur mort décapité et le passager avant paraplégique suite à une fracture de la colonne cervicale. Tristesse généralisée… Un autre accident de la route a coûté la vie à deux dames dans la soixantaine qui traversaient tranquillement la rue pour assister à une soirée de bingo par un soir très brumeux. Elles ont été frappées par un camion et elles sont décédées avant même d’arriver à Terre-Neuve (elles étaient aussi du Labrador) où l’avion les évacuait.

L’été dernier, une dame dans la quarantaine qui était à son chalet, sur une île, s’est frictionnée les tempes avec de l’alcool pour « soigner » une migraine et s’est ensuite approchée de sa chandelle (pas d’électricité sur les petites îles) pour lire. Elle s’est embrasée et a été sauvée par son mari et sa fille qui ont rapidement éteint les flammes. Cependant, la dame a dû être transportée en bateau au dispensaire le plus proche puis évacuée à l’Hôpital de Blanc-Sablon, intubée et transférée au Centre des grands brûlés à Québec. Elle va maintenant très bien après plusieurs semaines d’hospitalisation et quelques greffes!

Au départ, pourquoi avoir choisi la médecine familiale? Qu’est-ce qui vous plaît le plus de cette spécialité?

  • C’est la variété de clientèle et de cas.
  • Parce qu’on soigne de la naissance à la mort…
  • Parce qu’on développe des contacts privilégiés et durables avec les patients.
  • Parce que les possibilités de pratique sont nombreuses et intéressantes: urgence, hospitalisation, obstétrique, bureau, visites à domicile, sans rendez-vous, soins gériatriques, psychiatriques, soins palliatifs, etc.

Finalement, auriez-vous des recommandations à donner à des étudiants qui considèrent la médecine familiale comme choix de résidence?

  • Soyez polyvalents, intéressés, curieux de tout pour découvrir vos affinités particulières.
  • Sachez reconnaître vos limites tout en vous faisant confiance!
  • Aimez votre travail et vos patients, c’est tellement important.
  • Sachez prendre soin des autres… et de vous-mêmes.
  • La médecine est fascinante, tellement prenante et enrichissante, à vous d’en faire ce que bon vous semble!

Bonne chance et beaucoup de succès et de bonheur dans votre carrière à venir!

Première Ligne souhaite remercier chaleureusement Dre Ducharme de nous avoir accordé son précieux temps pour la réalisation de cet article!

Camille PlourdeCamille Plourde
Université de Montréal – Campus Mauricie

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