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La médecine en milieu carcéral

La médecine en milieu carcéral

Oseriez-vous travailler dans des pénitenciers? Éprouvez-vous une certaine gêne à l’idée de côtoyer des personnes emprisonnées? Afin de démystifier la pratique en établissement correctionnel, nous avons demandé à quatre médecins de famille (voir plus bas) de nous parler de leur expérience, des raisons qui les ont amenés à travailler dans ces établissements et celles qui rendent leur pratique stimulante.

Les débuts de pratique
De tous les médecins rencontrés, aucun n’avait en tête de travailler dans un pénitencier au début de sa pratique. Pour Dre Cyr, ses débuts comme médecin à la prison pour femmes Tanguay se sont faits grâce à son PREM obtenu à Montréal-Nord, qui incluait une journée de travail à la prison.  Pour les autres médecins, ce sont des collègues qui les ont initiés à cette pratique particulière. Le rythme de travail est moins éreintant que celui de l’urgence, ce qui permet également de concilier plus facilement la vie familiale. En effet, bien que la plupart des médecins soient sur appel en tout temps, ils peuvent généralement régler les cas par téléphone. Suite à leurs premiers pas dans les établissements correctionnels, les médecins découvrent finalement une pratique captivante de par le contexte dans lequel ils travaillent, mais également grâce à la clientèle.

Les aspects les plus appréciés du travail
La clientèle judiciarisée présente une diversité et une complexité des cas qui stimulent beaucoup les médecins. En effet, les pathologies tirent souvent leur source d’un ensemble de facteurs sociaux auxquels s’arriment des vulnérabilités physiques et psychologiques. La compréhension de ce schème, en plus de la maladie mentale qui s’ajoute parfois à ce portrait, entraîne un défi supplémentaire fort intéressant pour le médecin traitant. Beaucoup d’établissements disposent d’un bon éventail d’équipement médical, ce qui permet au médecin d’investiguer ou de traiter plusieurs cas sur place. Par exemple, un médecin peut défébriller un patient, faire un ECG, un plâtre ou encore des points de suture. Il semble toutefois exister une certaine différence au niveau des raisons de consultations chez les femmes, comparativement aux hommes. À ce titre, la composante psychologique et psychiatrique semble jouer un rôle prépondérant dans les rendez-vous médicaux à la Maison Tanguay et les blessures physiques arrivent moins souvent que dans les prisons pour hommes.

Les médecins doivent toujours rester vigilants contre des manipulations possibles de certains patients tentant d’obtenir un médicament dont ils n’ont pas réellement besoin. Effectivement, la dissimulation et la revente de médicaments est un problème difficile à enrayer en milieu carcéral.

Pathologies fréquemment rencontrées dans les établissements correctionnels

  • Troubles de santé mentale (bipolarité, dépression, trouble de personnalité antisociale narcissique ou borderline, schizophrénie, troubles paranoïdes ou délirants, troubles factices)
  • ITSS (VIH, VHC, VHB, gonorrhée, chlamydia)
  • Toxicomanie
  • Désordres musculo-squelettiques (lombalgies, douleurs chroniques, etc.)
  • Troubles du sommeil
  • Angine
  • Diabète type 2
  • Hypertension
  • Dyslipidémie
  • Suivi de conditions médicales particulières (cancer, maladies gastro-intestinales, maladies de la thyroïde, etc.)
  • Maladies respiratoires (asthme, MPOC, etc.)[1]

Le travail d’équipe ressort également comme l’un des points les plus appréciés du travail. Les médecins sont entourés de professionnels tels que des infirmiers, des travailleurs sociaux, des psychologues, des psychiatres et des agentes administratives.  Un peu comme à l’urgence, ce sont les infirmiers qui gèrent la première ligne. Ces derniers peuvent faire des examens gynécologiques, des prises de sang, donner des médicaments et faire des soins de plaies.  Ils reçoivent les demandes de consultations médicales des détenus et gèrent les priorités de soins. Ceci facilite énormément le travail des médecins qui peuvent ainsi se concentrer sur leurs tâches fondamentales d’investiguer, de diagnostiquer et de traiter. Le travail administratif comme les formulaires à remplir est souvent délégué aux agentes administratives ce qui plaît à beaucoup de médecins également. L’ambiance créée par le travail d’équipe solidifie les liens entre les professionnels et cela aide également à partager la charge émotive que peut susciter le travail avec les détenus.

Les points les moins appréciés
Les gardes 24 heures par jour, 7 jours par semaine peuvent être pénibles à l’occasion, mais les médecins tentent de s’organiser en groupe pour faire des rotations de garde dans plusieurs établissements ou ils s’arrangent avec le personnel médical pour condenser les appels.

Les médecins doivent toujours rester vigilants contre des manipulations possibles de certains patients tentant d’obtenir un médicament dont ils n’ont pas réellement besoin. Effectivement, la dissimulation et la revente de médicaments est un problème difficile à enrayer en milieu carcéral.  Plusieurs actions ont été entreprises par les établissements en vue de régler le problème. Par exemple, la colle pour dentier n’est plus librement accessible aux détenues parce qu’elles s’en servaient pour coller leurs pilules au palais en vue de les revendre intactes. Par ailleurs, les individus sous traitement de méthadone doivent rester sous observation pendant un certain temps après avoir bu leur médicament, avant de retourner à leur cellule afin d’éviter qu’ils ne le recrachent ou le vomissent pour le donner à d’autres détenus.

Les médecins doivent aussi apprendre quels médicaments il faut éviter de prescrire parce qu’ils sont ensuite utilisés comme drogue, ont une forte valeur sur le « marché » propre à l’établissement ou parce qu’ils créent une forte dépendance. La Gabapentine (Neurontin) peut être prisée pour un effet similaire à la cocaïne notamment. La morphine, les benzodiazépines et autres opioïdes sont également évités. Il y a une pression de prescrire qui est constante et parfois lourde à supporter.

Enfin, lorsqu’un médecin juge qu’une prescription n’est pas nécessaire, il arrive que les détenus se sentent lésés et portent plainte contre les médecins, qui doivent alors défendre leur décision devant le Collège des Médecins. C’est pourquoi la rigueur médicale doit être irréprochable.

Violence et sécurité
Les médecins interviewés n’ont témoigné que de très peu d’incidents ayant compromis leur sécurité. En somme, l’environnement demeure très sécuritaire et ils sont entourés mieux que quiconque pour faire face à une menace violente. Il semble que ce soit souvent au moment où ils s’y attendaient le moins que les incidents surgissent. Dr Breton raconte qu’il lui est arrivé une seule fois d’être frappé et c’était par une femme. Quant au Dr Lesage, c’est un poing qui lui est passé près du nez en examinant une cheville douloureuse. Les gardes de sécurité demeurent toujours à faible distance pour éviter le mieux possible tout incident. De même, les patients jugés trop dangereux restent menottés pendant l’examen médical. Dr Forest indique que devant le patient intimidateur, il faut montrer de l’assurance et surtout gérer ses émotions. La gestion de la colère des détenus impulsifs peut être encadrée et facilitée par le médecin qui reste calme et ferme malgré les tensions générées par les demandes non rencontrées des détenus.

© Yves Provencher

© Yves Provencher

Dilemme moral?
Apporter une aide médicale à des individus ayant commis des crimes d’une atrocité inouïe peut rendre mal à l’aise certains médecins, mais les docteurs Cyr, Lesage, Forest et Breton sont unanimes : le dilemme moral n’a pas lieu d’être.

Les quatre des médecins préfèrent également ne pas connaître les crimes des patients qu’ils soignent afin de demeurer neutre. Tous ont répondu avec la même conviction que le médecin est formé pour soigner et non pour juger. Les sentences sont décidées par les tribunaux et le médecin ne peut pas moralement s’imposer comme juge des individus qu’il traite puisque ce n’est pas son rôle. Un individu incarcéré, ne perd que sa liberté. Ses droits essentiels demeurent, comme celui d’être soigné, logé et nourris. En outre, si la visée sociale de l’emprisonnement au Canada est la réinsertion sociale, cela passe nécessairement par une bonne santé mentale et physique des individus, d’où l’importance du travail des médecins en établissement correctionnel.

Ce qu’il faut pour réussir et être heureux dans ce travail

  • Neutralité
  • Rigueur et professionnalisme
  • Sang froid et gestion des émotions
  • Expérience avec clientèles difficiles

Pour aller plus loin…
Stages INCommunity – Santé des contrevenants, IFMSA Québec

Remerciements
L’équipe de Première Ligne souhaite remercier Dre Josiane Cyr, Dr David Lesage, Dr Daniel Forest et Dr Michel Breton pour le temps qu’ils nous ont gentiment accordé en entrevue malgré leurs horaires chargés. Merci beaucoup pour votre précieuse collaboration à la réalisation de cet article!

Dre Josiane Cyr

  • Permis de pratique : 2009
  • Pénitencier : Maison Tanguay  – Pénitencier provincial pour femmes
  • Horaire du pénitencier : 1 jour par semaine; 8 à 9 heures par jour
  • Rémunération : Taux horaire (entente avec le CSSS où se déroule principalement le reste de la pratique médicale)

Dr David Lesage

  • Permis de pratique : 2005
  • Pénitenciers : Cowansville – Pénitencier fédéral à sécurité moyenne, Donnaconna – Pénitencier fédéral à sécurité maximale et Port-Cartier – Pénitencier fédéral à sécurité maximale (occasionnel)
  • Horaire du pénitencier : 5 jours par semaine, 8 à 9 heures par jour, Garde 24 heures par jour, 7 jours par semaine
  • Rémunération : Contrat avec l’établissement, fédéral

Dr Daniel Forest

  • Permis de pratique : 1981
  • Pénitenciers : Rivière-des-Prairies – Pénitencier provincial pour hommes et Saint-Jérôme – Pénitencier provincial pour hommes
  • Horaire au pénitencier : 2 jours par semaine, 8 à 9 heures par jour à Saint-Jérôme, 3 à 4 heures par soir à Rivière-des-Prairies, garde 24 heures par jour, 7 jours par semaine
  • Rémunération : Rémunération à l’acte (choix personnel)

Dr Michel Breton

  • Permis de pratique : 1980
  • Pénitenciers : Sainte-Anne-des-Plaines – Pénitencier fédéral à sécurité minimale, Joliette – Pénitencier provincial pour femmes, Centre régional de réception – Pénitencier fédéral à sécurité multiple et Port-Cartier – Pénitencier fédéral à sécurité maximale (occasionnel)
  • Horaire du pénitencier : 2 jours par semaine, 3 à 4heures par quart de travail
  • Rémunération : Contrat avec l’établissement, fédéral

 

Chloé RondeauChloé Rondeau
Université de Montréal

 


[1] Depuis 2006, la consommation de cigarettes est interdite dans les pénitenciers fédéraux, mais permise dans les provinciaux.  Les maladies respiratoires en lien avec le tabagisme sont encore très présentes dans les établissements provinciaux. Toutefois, selon Dr Lesage, de telles pathologies sont maintenant moins fréquemment rencontrées dans les établissements fédéraux.

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